Louaï, l'orphelin du désert

Depuis quelques temps, des rumeurs circulent comme quoi un petit nomade se promènerait dans les rues de 1400 et provoquerait pas mal de bruit. C’est ainsi que nous, journalistes de la gazette, nous sommes rendus chez les Fils du Serpent, là où réside l’énergumène, pour recueillir des informations à son sujet.

À notre arrivée, l’accueil n’était pas des plus chaleureux. Les fils du serpent ne sont pas hostiles, mais ils ne sont pas du genre à bavarder avec nous sans retenue. Il n’a cependant pas été difficile de repérer notre cible. Le jeune garçon détonne dans ce lieu si calme et paisible. Nous avons pu l’apercevoir lors de l’une de ses innombrables farces.

Le petit homme, prénommé Louaï, est vif et bruyant. Il est d’une taille normale pour un enfant de dix ans, cependant, il paraiît bien plus maigre que la moyenne. Il semble néanmoins sportif et surtout bon coureur.  

Ce qui nous a interpelé en premier, ce sont ses yeux vert pomme aussi vifs qu’une pelouse fluorescente de 1400. Derrière ce vert, on peut remarquer un regard malicieux et joueur. Ce petit garçon plein de vie a un visage fin et anguleux avec les joues couvertes de sable. Ses cheveux, bruns et épais mériteraient quelques shampoings. Bref, il n’est pas très propre.

Son aspect négligé est souligné par ses vieux vêtements troués par endroits. D’après nos renseignements, ils lui ont été donnés par des membres du Clan ayant eu des enfants par le passé. Il porte un pantalon marron, un tee-shirt kaki et un gilet rouge. Le seul vêtement propre dans le lot est une écharpe rouge dont on nous a dit qu’il lui venait de sa mère.

Avant de partir à la pêche aux informations, nous avons pu apercevoir un détail troublant sous le tee-shirt de ce petit : une cicatrice partant de la septième côte gauche et se terminant au-dessus du bassin du côté droit. Chose assez peu commune chez un enfant.

Pour cerner ce curieux personnage, nous avons recueilli quelques témoignages anonymes de Fils du Serpent :

Membre du clan 1 :
« Louaï ? Bien entendu que je le connais ! C’est ce petit chenapan qui vient me trafiquer la tente pour qu’elle me tombe dessus. Je n’ai jamais pu prouver que c’était lui, mais j’en suis pratiquement certaine. Ce gosse n’a peut-être pas de parents, mais ce n’est pas une raison pour être aussi exécrable. Si seulement je pouvais l’attraper, je lui mettrais une bonne gifle pour lui faire apprendre à respecter ses aînés. Malheureusement, le serpent blanc lui a donné de bonnes jambes pour courir loin de moi. Je ne sais pas pourquoi il l’a aussi gâté, il ne le mérite pas. »

Membre n°2 :
« Ah oui ! Vous me parlez du pauvre petit orphelin ? Il est vrai qu’il ne peut s’empêcher de faire les cent coups, mais il faut le comprendre. Il n’a personne pour l’éduquer. Entre vous et moi, je suis persuadée qu’il fait cela uniquement pour se faire remarquer. Après tout, il est tout seul, il n’a même pas de frère ou de sœur. Moi je trouve qu’il anime un peu le clan, et permet même de créer des liens entre membres. Voyez, la semaine dernière, certains Fils du Serpent se sont réunis pour discuter de son cas, et la plupart des nomades étaient d’accord pour dire qu’il posait un problème, même ceux qui se tirent tout le temps par les pattes. Il a quand même de bons côtés ce petit. Il en veut peut être au Clan d’avoir poussé ses parents à partir, mais quand l’un de nous a besoin de quelque chose en urgence, il suffit de lui demander et il se rend immédiatement au marché des Favoris de la Gazelle en échange d’un peu de nourriture. Il est un peu le coursier du Clan… »

Membre n°3 (enfant) :
« Louaï c’est un super copain, il tient tout le temps tête aux Adorateurs du Scorpion qui viennent nous embêter. Il n’est pas très aimé des anciens, mais c’est un peu le grand frère de tout le monde. Il part souvent à l’aventure et nous ramène de supers trésors ! La dernière fois, j’ai eu droit à une peluche de 1400, mais ma mère n’a pas voulu que je la garde et j’ai dû la jeter… »

« Vous voulez que je vous raconte l’histoire de ce gosse ? La vielle dame s’asseoit dans sa tente face à nous et reprend d’une voix rauque. Ce n’est pas un conte de fée son histoire, ça je peux vous l’assurer. Enfin, si vous voulez vraiment savoir, je vais vous la raconter. »

Elle se leva pour aller chercher une vielle marmite contenant une préparation douteuse et sans doute aussi âgée que la marmite. Elle se mit à remuer la mixture. Quand elle perçut notre regard décontenancé, elle s’avança pour nous chuchoter à l’oreille.

« C’est pour mes rhumatismes, surtout ne le dites pas aux autres vieux du Clan, je ne fais pas dans la charité. Elle se redressa et dit d’une voix plus forte. Alors, on en était où ? Ah oui ! Le petit Louaï. Il est né il y a dix ans. Ah non, pour vous c’est il y a plus d’un millénaire. Enfin bref, il est né. Ses parents l’attendaient comme s’il était le serpent blanc en personne et lorsqu’il se montra, la première chose qu’ils remarquèrent, ce sont ses rondeurs. Je ne plaisante pas, il était énorme ! Cependant, lorsqu’on est parent, on s’émerveille pour pas grand-chose, et au lieu de dire qu’il était gros, ils ont dit qu’il était fort comme un bœuf, et ils l’ont appelé Louaï. Bon, je vais vous épargner ses premiers pas et ses premiers mots vu que vous devez vous en ficher comme d’un grain de sable dans le désert. Je vais donc venir à ses 5 ans. Comme tout le Clan, le gosse s’est endormi aux côtés de ses parents. »

La vielle dame se leva et alla chercher un vielle coupe en terre cuite et se servit une grosse rasade du breuvage infecte contenu dans la marmite, en but une gorgée, et reprit son récit les yeux perdus dans le passé.

« Ses parents se sont réveillés deux ans avant lui, il y a sept ans. Cependant, lorsqu’ils ont appris qu’il fallait cohabiter avec vous, ils n’ont pas réagi de la même manière que nous. Ils ne voulaient en aucun cas se faire dominer par eux. Cependant, notre décision était déjà prise, et nous leur avons demandé de respecter notre choix. Mais un an après leur réveil, ils ont décidé de quitter le clan et de partir à la recherche d’un endroit où vivre paisiblement. Ils savaient pertinemment qu’il n’y avait plus rien, mais ils ne pouvaient accepter de dépendre de la tolérance de votre peuple. Ils sont donc partis dans le désert, et ne sont jamais revenus. »

Les flammes du feu de camp qui nous séparaient de la vielle dame rendaient la scène plus dramatique. J’entendis le reniflement d’un de mes collègues. La vielles dame reprit une autre goulée de son remède, et une odeur âcre parvint à nos narines. Elle nous sourit, et nous dévoila ses dents gâtées par sa mixture. Pris d’un haut le cœur, je détournai la tête de cette scène trop éprouvante pour moi. Elle reprit la parole après avoir terminé sa coupe.

« Quand le gosse s’est réveillé, ses parents n’étaient plus là. On lui a raconté l’histoire, mais pour un petit garçon de cinq ans, il est difficile de tout comprendre. Il a essayé de partir pour les rejoindre de nombreuses fois et nous avons été contraint de le séquestrer pendant des mois. Il a tenté d’en sortir en s’ouvrant le ventre, mais nous avons réussi à le raisonner après l’avoir soigné. En grandissant, il a développé une haine envers nous et est persuadé que nous les avons poussés à partir. Pour se venger, il perturbe le quotidien des Fils du Serpent, en détruisant leurs biens. En mémoire le leurs parents, on le nourrit, l’habille et on essaye de le laver, malgré toutes les misères qu’il nous fait. Entre nous, je trouve qu’il fait vivre notre clan et que ses blagues de gosse permettent de réveiller certains vieux qui, même après vingt ans, dorment toujours debout. Bon, eh bien voilà. Je pense vous avoir tout raconté, permettez-moi de vous raccompagner. »

La vielle dame se redressa, et se dirigea vers les chameaux qui nous attendaient pour nous ramener vers la ville. Nous étions tous secoués par cette histoire. Un gamin d’à peine dix ans avait vécu bien plus que nous tous. Encore tout retourné, je me laissais entraîner vers 1400 par les chameaux et pensais qu’il serait peut-être préférable de tenir secret le passé de ce petit.