Le passé...Hmm, voilà un sujet duquel je parle avec sérieux !
Mon histoire est étroitement liée à celle d'Ahras. Normal, vous allez me dire, puisque c'est mon frère. Mais pour le coup, il a carrément été plus important à mes yeux que notre père et notre mère. Il faut dire que j'ai toujours grandi dans l'ombre de son aile. Il me protégeait, sans vraiment que je ne m'en rende compte. Toutes mes conneries, c'est lui qui les réparait. En y repensant, je lui dois tout, ou presque : Ahras m'a coûté l'amour de mes parents.
Je n'exagère rien. J'ai connu mes parents attentionnés, chaleureux et rassurants. C'était il y a longtemps, alors que j'étais tout gamin. Ils étaient si enthousiastes, si heureux d'avoir un nouveau-né ! Dommage que celui-ci n'ait pas répondu à leurs attentes. Rapidement, lorsque mon caractère a commencé à s'affirmer, ils se sont rendus compte combien j'étais différent de mon frère aîné. Lui avait incarné à la perfection, le rôle de l'enfant sage et modèle... Il a toujours fait la fierté du Clan ! Et moi, j'arrivais, avec ma grande gueule et mes questions à la con. Tous ceux qui avaient la malchance de me contrarier apprenaient bien vite à me détester. Je suis certain que cette facette de ma personnalité aurait pu s'endormir à force d'éducation, de persévérance, mais mon père a laissé cette lourde tâche à ma mère, qui a fini par abandonner à son tour.
Je le sais, je l'admets, j'étais un enfant difficile... Très difficile. Pourtant j'avais droit à une chance, non ?! On ne m'en a donné aucune ! Tout le monde m'a ignoré ! Et pour moi, la raison de ce détournement était toute trouvée : Ahras. Il était là, grand et puissant, empreint de charisme ! Il nous a toujours défendu, sauvé et nourri. Je ne pouvais rien faire contre lui... Cependant, je le considérais tout de même comme un ennemi parce qu'il m'empêchait d'exister, de trouver ma place au sein du Clan. Alors je me faisais remarquer autant que possible. Bravant les règles, violant les lois, je partais loin, loin dans le désert en espérant qu'on s'inquiète pour moi.
Le silence. Le néant. Seul, des heures durant.
Je détestais ça. Je préférais écouter la vie, les rires, le brouhaha des autres enfants, même si je n'étais pas le centre d'attention. Pourtant j'espérais, encore et encore, que quelqu'un me cherche. Qu'une personne se sente mal sans ma présence.
Rien à l'horizon. Seulement le sable, les dunes fouettées par le vent.
Je me rappelle les avoir longtemps observées, sans leur trouver un quelconque charme. Ma mère disait trouver le désert magnifique, alors je faisais exprès de le trouver laid. Je m'opposais à tout. Absolument tout.
Je rentrais quand la faim se faisait trop sentir. J'avais pour principe de ne jamais m'absenter plus d'une journée, afin de ne pas perdre la trace des autres. J'avais l’œil vif, un bon instinct et mon sens de l'orientation était chaque jour mis à l'épreuve, alors je n'avais pas peur. Mais un soir, je ne suis pas rentré. J'avais trouvé des ruines sous les quelles m'abriter, et m'étais endormi à l'ombre ; puis la nuit tomba sans que je ne m'en rende compte. Après ça, impossible de retrouver mon chemin. Mes points de repère avaient disparu, tout était noir autour de moi. Les étoiles n'éclairaient pas grand chose, mais brillaient juste assez pour me laisser remarquer, à quelque mètres de moi, une silhouette humanoïde. La chose était immobile. Moi aussi.
Pour la première fois de ma vie, je rencontrais la véritable peur. Celle qui semble vous promettre une mort certaine. Celle qui vous fait préférer cette mort à la panique colossale qui écrase votre être. Je peux vous promettre que cette nuit là, j'ai ressenti cette peur jusqu'au bout de mes ongles mornes et tremblants. J'avais une douzaine d'année. J'étais seul avec cette chose dans le noir.
Soudain, tout est allé très vite. J'ai senti qu'on me tirait en arrière, pour me projeter plus loin sur le sol. J'ai vu la silhouette devant moi disparaître, pour laisser place à un visage apeuré, éclairé par la torche que tenait le nouveau venu. Bien vite, ce dernier asséna plusieurs coups dans le corps de cet homme qui m'avait effrayé. Je me souviens de la flamme qui dansait dans l'obscurité, des cris de douleurs, de pas, tout autour de moi. Ils se battaient.
Je me suis approché ; Ahras était là ! Il m'avait retrouvé... Mon frère en finit rapidement avec son adversaire, avant de s'approcher de moi pour me frapper au menton. J'eus à peine le temps de réaliser son affront qu'il enchaîna un second coup, avec sa dague cette fois-ci. Ainsi, mon visage se retrouva rayé, et ensanglanté. Il ne m'avait pas loupé.
J'avais RÉELLEMENT cru mourir. Vraiment.
ll m'expliqua ensuite que c'était une punition pour m'être mis en danger de la sorte, mais son excuse ne signifiait rien à mes yeux. Il avait levé la main, la dague, sur son propre frère. J'étais marqué à vie ! Il avait beau me rabâcher que c'était à moi de me remettre en question, je n'étais pas prêt de le pardonner. Non mais quelle ordure !
Suite à cet événement, j'ai pris des résolutions. Mon comportement devait s'améliorer. Je ne disparaissais plus sans raison apparente pendant des journées entières, et je cessais toute provocation envers les autres.
Néanmoins, l'adolescence me rattrapa bien vite pour réveiller cette audace que mes efforts avaient mis de côté. Je faisais n'importe quoi... Plusieurs fois, on menaça de me jeter du Clan. Si l'on devait énumérer toutes mes conneries, je pense qu'il aurait fallu plusieurs mètres de parchemins.
Je suis allé jusqu'à cracher sur mon propre père. Mais, il y avait des fois plus drôles, comme le jour où j'ai mis le feu à la queue d'un dromadaire. Et puis, quand j'ai capturé un serpent pour le foutre dans le lit d'Ahras... Il faisait pas le fier, héhé. Nan, j'ai rien fait de très grave. Disons que j'ai simplement accumulé les petites choses à ne pas faire.
Peu de gens arrivaient à me supporter. Quand je ne passais pas mon temps à m'entraîner pour le combat, j'emmerdais quelqu'un. C'était la belle vie !
Puis est arrivé le fameux jour du passage à l'âge adulte. Je l'attendais avec une folle impatience... J'allais enfin avoir un scorpion, et pouvoir tabasser des gens paumés dans le désert ! Ouais, c'est l'idée que je me faisais de l'avenir. Éboueur. Je ramasse tous les déchets humains qui traînent dans le désert. Quoi, ça vous pose problème ? Ben me regardez pas comme ça, alors ! Je fais le ménage, moi !
Donc, la cérémonie. C'était un véritable enfer. J'ai des frissons en y repensant.
D'abord, fallait creuser un trou. Étroit mais profond, bien lisse et tout. J'ai mis pas mal de temps mais j'y suis arrivé, à force d'acharnement. Toutes ces quantités de sables à retourner... C'était terriblement ennuyant. Mais en terme d'ennui, les jours et nuits qui ont suivi battaient tous les records. Je ne sais pas comment j'y ai survécu. La chaleur intense, le froid glacial... Tout ça m'avait rendu très énervé et un peu malade. Il me tardait de sortir, mais je ne me rappelle pas m'être plaint une seule fois. J'y étais presque !
Une fois cette étape passée, j'ai rencontré mon scorpion. Oui, oui ! Il est tombé dans mes cheveux, ce con,
et je vous avoue avoir crié un peu, mais chut. Son corps fin et ses couleurs orangées, rayées de noir, me laissaient admiratif. Un seul inconvénient : sa taille. On avait dû me refiler le scorpion le plus PETIT du désert ! Il faisait quoi ? La longueur de mon pouce, à peine ?! Je vous raconte pas la déception.
Enfin bon, malgré ça, je l'aimais déjà, et lui non visiblement puisqu'il me pinça une ou deux fois avant de se décider à me piquer. Finalement, je lui donnais pour nom : Nhuat. Le doyen m'a dit que ça voulait dire "pince", dans une langue ancestrale. Si il faut, il s'est foutu de moi, et en vrai, ça veut dire bousier ou pire, citadin... Mais bon, Nhuat, j'aime bien.
Ensuite, je ne me souviens pas de mes actes pendant mes délires post-piqûre... Disons que c'est vers la fin de ma longue divagation que je me suis endormi pour deux millénaires, sans m'en rendre vraiment compte. Lorsque je me suis réveillé, j'avais au moins une vingtaine de griffures sur tout le corps. J'avais dû m'éclater sur moi même en délirant...
Ah, j'étais tout de même fier ! Je pouvais finalement commencer à vivre comme je le souhaitais. Et c'est sans attendre que je me lançais vers de nouveaux horizons, hallebarde à la main, et scorpion sur l'épaule. Aujourd'hui, le Clan m'apprécie davantage. Après tout, je suis super efficace quand je veux ! Nan, mon truc, c'est d'explorer le désert en quête de citadins... Perdus ou pas, seuls ou à plusieurs, je tente toujours ma chance ! D'ailleurs, vous voulez savoir un secret ? Ma lame n'a pas touché qu'aux citadins. Nan. Mais je n'en dirais pas plus. ~~