Naïah, Fille de Alvin

Il doit être environ six heures du matin quand j'ouvre lentement les paupières. Le feu s’était éteint durant la nuit et maintenant il faisait vraiment très froid dans ma chambre. Rapidement je me lève et commence par étirer mes bras longs et fins . Enfin longs… Tout est relatif... En règle générale, les gens s’accordent aisément sur le fait que je ne suis pas très grande. Du haut de mon mètre cinquante-huit je me dirige donc vers mes vêtements. J’enfile promptement mon body de coton blanc rapidement suivi d’une brassière en cuir recouvrant ma petite poitrine . Pour habiller mes jambes, j’avais hérité de ma mère une magnifique jupe longue de tissu bleu nuit doublé avec de la fourrure. Je finis par revêtir une veste doublée de fourrure elle aussi . Beaucoup de gens me disent que je suis folle de ne pas porter de chaussures mais je me sens mieux ainsi . Par le sol on peut sentir toutes sortes d’énergies bienfaisantes et régénératrices. Bien entendu lorsque je sors dans la neige j’enfile des bottes mais la plupart du temps je préfère rester pieds nus. Je vais ensuite vers ma bassine d’eau et regarde mon reflet . Je plonge mon regard dans mes propres yeux, un blanc, l’autre noir . Ma peau laiteuse reflète la légère lueur du soleil levant qui parvient de la rue creusée à même la roche . Lisse et pâle, ainsi est ma peau. La seule marque qui vient changer cette uniformité est un petit grain de beauté foncé en-dessous de mon oeil blanc, le gauche . Mes lèvres charnues sont quant à elles percées d’un bijoux blanc et rond comme la lune. Encore une chose que j’ai hérité de ma mère. C’était une tradition familiale que de se faire percer la lèvre à ses quatorze ans. Après m’être longuement regardée dans cette eau j’y plonge mon visage et attends autant de temps que je peux . L’eau me gèle le visage . Bientôt je n’aurais plus d’air mais je garde quand même le visage immergé. Ce rituel matinal me permet de me souvenir de la chance que j’ai d’être encore en vie.
À bout de souffle je sors mon visage de ce liquide mortel et prends une large inspiration, le coeur battant à toute allure. J’attrappe une petite serivette en poils de lapin arctique et essuie mon visage avant d’empoigner mes cheveux blanc comme la neige de mes deux mains et de les attacher en une tresse maladroite .

Je sors de chez moi pour me rendre au sanctuaire saluer notre divinité et prier mais en chemin je croise un groupe de jeunes gens. L’un d’entre eux me bloque le chemin et commence à ricaner. Face à lui je reste totalement immobile, aucune expression sur le visage. N’avait-il donc que ça à faire ? Embêter les passants ? Et c’est alors qu’il me dit :
“ Hey toi ! c’est Naïah c’est ça ? ou alors je devrais t’appeler la folle ? Mes parents disent que l’eau t’a gelé le cerveau ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu vas nous porter la poisse à nous aussi. Va-t-en ! Tu es trop bizarre pour rester avec nous ! “
Je le regarde et l'écoute attentivement, il semblerait qu’il ait beaucoup à dire dites donc !
Je m’accroupis alors et joue avec quelques cailloux qui se trouvaient au sol. Ils me regardaient tous avec cet air que je connais si bien. Ils me jugeaient... mais pourquoi ? Parce que l’envie de jouer avec ces cailloux m’a prise, comme ça ? C’est loin d’être la première fois qu’on me dit ce genre de choses mais la chose la plus redondante est le fait que je sois folle... Le suis-je ? On me dit aussi souvent que mes actions sont trop aléatoires et vides de sens… mais j’y peux rien s'ils ne comprennent pas ma logique. Tout ce que je fais a du sens pour moi. Je m’avance du jeune homme et le regarde dans les yeux. Je sentais un peu de crainte en lui ce qui me fit sourire.  Je retire alors ma veste.


`c’est vous qui me bloquez le chemin et il fait froid aujourd’hui, vous devriez rentrer chez vous et embrassez vos parents pour moi jeune homme. Sur ce, je ne reste pas plus longtemps avec vous puisque vous ne voulez pas.`

Je ris un peu et trottine loin de ces jeunes qui se demandent pourquoi j’ai retiré ma veste alors que j’avais froid. Mais rien n’est plus logique que ça non ? Si je retire ma veste, quand je la remettrais je n’aurais plus froid. Peut être on ne me comprend pas simplement parce que je n’explique pas toutes mes pensées... Je ne sais pas mais ça prendrait trop de temps à faire et nous n’avons pas de temps à perdre par ici.

/!\ DISCLAIMER. Elle n'est pas une victime, juste bizarre avec une logique totalement et radicalement différente des autres, donc elle se fait souvent écarter par les autres. FIN DU DISCLAIMER./!\

En marchant vers le sanctuaire, sans trop savoir pourquoi, je me mets à penser à mon histoire... J’étais née il y a 22 ans d’une mère Angakk et d’un père pêcheur. Leur union était fortement mal vue à l’époque et mon père dut quitter la ville... On m’a dit qu’après son départ il était mort noyé dans l’eau glacée de la mer alors qu’il pêchait pour sa survie. Voici comment je n’ai pas connu mon papa . Ma mère, trois mois après sa mort, mit au monde une petite fille, moi. C'était un jour de grande tempête ( le 13 décembre ). Au loin on entendait la mer s'écraser contre la plage glacée dans un concert macabre. On m'a dit que c'était l’un des jours les plus sombres du siècle, de nombreux Nanoquins étant morts en mer. C’est un peu triste mais, toute mon enfance, on m’a associé à la mort de ces marins, créant en moi cette sorte de culpabilité malsaine. Comment aurais-je pu les tuer alors que je n’étais qu’un nourrisson. Ils étaient et sont sûrement encore persuadés que ma naissance a détraqué leur don de prévision et que c’est pourquoi tous ces gens sont morts... Que notre divinité était contre l’union de mes parents et nous l’a laissé entendre par ce massacre .
Je grandissais donc près du  sanctuaire avec ma mère. J’ai appris toutes les coutumes des Anciens avec elle durant huit ans.

Dans l’année de mes 8 ans, je ne me rappelle plus bien pourquoi mais on était tous en sortie vers la mer gelée. Il y avait ma mère et d’autres enfants… Petite j'étais vraiment très active et dure à canaliser . Je courais partout et m’amusais à glisser sur la glace comme le ferait un pingouin . C'était vraiment amusant ! Mais, au moment où j'étais vraiment loin du groupe, il y eut un “crick” puis un “chklong”, je reste immobile, et enfin un “flouuf”. Le froid . Il faisait terriblement froid . Je n’arrivais plus a bouger . Autour de moi ce liquide m’encerlait. Je regardais au-dessus de moi. C'était magnifiquement effrayant. Une couche de glace percée d’un trou lumineux. Je comprends alors que j’étais sous l’eau et allais mourir. D’un côté je n’étais pas si triste me disant que j’allais enfin pouvoir voir mon père. Et justement à ce moment la je sens que l’on m’enpoigne fermement et me tire. Je remonte. La chaleur d’un corps me réchauffait alors que je remontais lentement à la surface. Cette lente agonie prit fin quand mes poumons se remplirent de l’air gelé et salvateur. Lorsque j’ouvris les yeux, j’étais allongée au bord du trou. Ma mère était encore à moitié dans le trou et me regardait. Elle était visiblement gelée mais soulagée. J'étais saine et sauve et c'était tout ce qui comptait pour elle. Elle n’avait plus à se battre, j’allais vivre. Je la regarde alors que lentement elle glisse dans l’eau. Elle glisse et s’enfonce dans ce cette masse sombre et gelée. J’allais plonger pour tenter de la sauver mais juste à ce moment-là un autre accompagnateur m’en empêche.

Depuis ce jour je ne suis plus sortie de la ville et me suis largement calmée. Je ne cours plus partout. Le reste de mon enfance puis mon adolescence je l’ai passé avec les Anciens.
Maintenant l'eau a coulé sous les ponts et presque personne ne se souvient de la tragédie "liée" à ma naissance et me traitent normalement.
Après m'être rappelée de tous ces événements, je m’agenouille devant la statue de l’ours et prie, remerciant Nanoq d’être encore en vie et en pleine santé.