Elle regardait ce petit théâtre amorti, une main le long du corps, et l’autre fermement fixée à sa valise. Chaque fois qu’elle quittait, ainsi, une de ses chambres, elle éprouvait un petit pincement au cœur, de regrets, de nostalgie, de souvenirs, mais qui était très rapidement effacé par la quantité de découvertes qu’un nouveau lieu lui apporterait. Elle se sentait, à nouveau, libre.
Elle contemplait ainsi la lumière s’établir progressivement, s’imprégnant complètement de l’aura reposante de la rue, depuis une dizaine de minutes. Elle flânait, parfois, faisait un pas d’un côté, de l’autre, s’amusant à varier les points de vue, les champs de vision, mais se contentait de graviter autour d’un point fixe, comme attirée par un trou noir fictif. Un bruit vint alors briser sa méditation mouvante. Un claquement, très léger, très épuré, juste à côté d’elle. Un son qu’elle n’aurait pas pu entendre sans le silence total. Puis, en un instant, tout changea ; et la rue se retrouva plongée sous une averse torrentielle, comme entraînée par cette première goutte qui venait de s’échouer au sol.
De véritables nappes d’eau s’écroulaient au sol, s’affaissant en flaques coulantes, mobiles, serpentant tout autour des monts et vallées les plus infimes sur le sol. La demi-douzaine de personnes qui marchait à cet instant à travers la rue s’anima en un instant, se précipitant au plus vite vers un abri ; fuyant un ennemi aussi puissant et omniprésent qu’inoffensif. Sola se régala un instant de l’instant, de l’averse, tourbillonna comme une enfant une fois au milieu de l’allée, goûta à la fraîcheur, à la douceur de l’élément liquide, puis rejoint la fuite, vers un bâtiment qui avait déjà attiré son attention quand elle s’amusait à parcourir la rue. Elle poussa la porte de la bibliothèque, complètement trempée, ayant volontairement oublié d’utiliser son parapluie. Sa valise, ses vêtements, et ses cheveux étaient trempées, quand elle quitta le chaos soudain de la rue, pour revenir à une ambiance douce et voluptueuse. Elle salua les bibliothécaires à l’entrée, et s’avança dans le bâtiment, sans la moindre idée de ce qu’elle comptait y faire.
Les bibliothèques, aussi récentes et modernes soient-elles, étaient toujours envahie d’une odeur apaisante de papier, commune aux vieux livres comme aux nouveaux. Une odeur douce, toujours pleine de souvenirs, de bons moments, de silence. Une odeur qui plongeait déjà l’esprit des lecteurs dans une médiation calme, juste par les mots. L’une des odeurs qu’elle préférait. Sola plongea un instant son regard dans la fenêtre, voyant au dehors la rue balayée par des trombes d’eau excitées par un vent qui, bien que simulé, était d’une intensité incroyable.
Elle marcha, quelques pas, tentant d’effacer au mieux le bruit, dans le désir absolu de conserver le calme de la pièce. Elle entendait tous les sons qu’elle produisait comme amplifiés, comme un véritable brouhaha, tant le reste de la pièce était silencieux. Heureusement pour elle, une seule personne se tenait dans la première pièce.
Ne se sentant pas de lire, Sola s’assit en face de lui, et l’observa, alors qu’il était plongé dans sa lecture. Son apparence avait attiré son attention. C’était un jeune homme d’une incroyable finesse, pâle et léger, très efféminé, et donc d’une beauté conséquente. Sola n’avait jamais trouvé d’intérêt pour un type de visage en particulier, mais l’apparence de cette personne lui procura une forte impression, dans sa délicatesse, dans son élégance.
Elle sourit ; la journée commençait très bien. Elle espérait pouvoir faire connaissance avec lui au plus vite, sentiment renforcé quand elle étudia avec plus d’intérêt son expression. Il avait un visage assez dur, qui s’opposait globalement à son apparence juvénile, mais surtout, paraissait complètement absorbé, englouti dans sa lecture. Elle sentait, rien qu’en le regardant, à quel point toutes ses capacités mentales étaient engagées, et travaillaient ardemment, à quel point il s’investissait dans cette activité simple.
Cette passion calme, et ce visage, passionnait Sola. A présent en elle se déroulait un combat entre son impatience d’en apprendre plus sur cet individu et son respect d’une telle passion dans la lecture. Un élément y mit toutefois terme, à savoir le nombre de pages sans cesse décroissant qu’il lui restait à parcourir. Elle estima qu’il aurait terminé son livre dans moins d’une dizaine de minutes, et décida, ainsi, d’attendre, avec l’espoir qu’il ne s’évaporerait pas ni ne se replongerait dans un autre livre à la taille conséquente, qu’il était obligé de poser sur une table.
Après que le temps se soit conséquemment ralenti, et qu’il finisse après une interminable éternité par refermer son livre, les gestes engourdis, elle s’avança vers sa table, l’esprit comme un feu joyeux qui vient de s’allumer.
« Excusez-moi ? »
Elle posa sa question, un sourire aux lèvres, avec le ton le moins agressif possible.